Wolfgang Mozart, Correspondance

Wolfgang Mozart, Correspondance

& "Je ne vois souvent ni rime ni raison à rien" Paris - 1778 -

 

 

 

   Lundi  23 mars après-midi à  4 heures,  Wolfgang Mozart et sa mère arrivent à Paris.  Leur voyage a duré  9  jours  1/2,  et le jeune compositeur , qui ne pense qu'à  Aloysia,  commence déjà à ressentir une certaine mélancolie qui ne le quittera guère pendant son séjour en France....

 

 

    "De ma vie,  je ne me suis autant ennuyé.  Vous pouvez aisément vous imaginer ce que cela signifie,  lorsqu'on quitte Mannheim et tant de chers et bons amis,  et qu'il faut vivre neuf jours et demi non seulement sans ces bons amis,  mais personne, sans âme qui vive vers qui se tourner ou à qui s'adresser.   Nous sommes arrivés à destination et au but,  grâce à Dieu.  J'espère que tout ira bien,  avec l'aide de Dieu...."

 

    

       Les voies de Dieu sont impénétrables ,  il  avait décidé d'amener Mozart à subir toutes ces épreuves ;  et pourquoi en France   ?....

 

     

       Laissons maintenant un peu la parole à Anna-Maria,  car nous ne la verrons plus très longtemps.   Elle a choisi d'accompagner son fils à Paris,  redoutant pour lui de mauvaises fréquentations.    Femme tendre et sympathique ,  qui sera donc enterrée en France,  et nous laissera sûrement un peu de son âme....

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                Paris,  le 5 avril  1778

 

 

 

Mon cher époux,

 

   Nous nous portons bien tous les deux,  Dieu merci,  et espérons que toi et Nannerl êtes en bonne santé et qu'avec l'aide de Dieu tout s'arrangera donc.  Wolfgang a beaucoup à faire,  il doit écrire un Miserere avec  3 choeurs, une fugue et un duo pour la Semaine sainte. au  Consert Spirituell  (mot en français)  ,  et le tout doit comporter énormément d'instruments.  Il devra être terminé mercredi prochain pour pouvoir être répété.  Il l'écrit chez Monsieur  Legros,  directeur du Concert,  où il prend ses repas la plupart du temps. Il peut également manger tous les jours chez Noverre, tout comme chez Madame d'Epinay.

   Ensuite, il aura 2 concertos à faire pour un duc,  un pour la flûte traversière et un pour la harpe.  Pour le théâtre français,  il doit écrire un acte pour l'opéra.  IL a aussi une élève qui lui paye  6 livres par leçon,  c'est à dire  3  louis d'or pour 12 leçons....  Nous ne serons toutefois payés que lorsque tout cela sera terminé et nous ne toucherons pas un kreuzer avant Pâques.  Nos économies s'amenuisent passablement  et ne mèneront pas loin car nous devons changer de quartier   (.....)

   Pour ce qui est de ma vie,  elle n'est guère agréable.  Je reste seule toute la journée,  comme aux arrêts,  dans la chambre qui donne sur une petite cour et qui est de plus si sombre qu'on ne peut voir le soleil de la journée ni même savoir quel temps il fait dehors.   Je peux à grand-peine tricoter un peu à la faible lueur qui y pénètre, et pour cette pièce,  nous devons payer  3O  livres par mois.   L'entrée et l'escalier sont si étroits qu'il serait impossible d'y monter un piano.   Wolfgang doit donc composer au-dehors,  chez Monsieur Legros,  puisqu'il s'y  trouve un piano.   Je ne le vois pas de la journée et finirai par perdre totalement l'usage de la parole.

   La nourriture que je fais venir par un traiteur est également Superbe : pour 15 sols, j'ai trois plats,  d'abord une soupe aux herbes que je n'aime pas,  un petit morceau de vilaine viande,  un peu de pied de veau dans un bouillon dégoutant ou du foie dur comme une pierre....  Nous n'avons toutefois jamais de soupe le soir .  Les jours maigres sont indescriptibles et insupportables.   Tout coûte moitié plus cher qu'il y a 12 ans, lorsque nous étions ici pour la dernière fois.
 

    Aujourd'hui,  le  1O,  j'ai fait les bagages toute la journée car nous déménageons dans un autre quartier où nous ne payons qu'un louis d'or par mois.   Nous avons 2 chambres sur la rue ,,  c'est plus près de la  Noblesse,   et du  Théâtre.   Hier,  Monsieur le baron von Grimm est venu me voir,  il te fait dire de ne pas te chagriner,  que tout s'arrangera.  Il faut seulement avoir encore un peu de patience....."

 

 

 

 

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                                                                      Paris,    le  1  may  1778

 

 

 

Mon  Très cher  Père   !

 

   Nous avons bien reçu votre lettre du  12 et la raison pour laquelle je suis resté si longtemps sans écrire est que je voulais attendre une lettre,  le courrier coûte trop cher et lorsqu'on n'a rien de très important à écrire,  cela ne vaut même pas la peine de dépenser  24  sous ou même plus.   Je suis toutefois contraint de vous donner peu de nouvelles,  et encore douteuses.
   M.  Grimm m'a donné une lettre pour la duchesse de Chabot,  et j'y suis allé.  Le contenu de la lettre visait essentiellement à me recommander auprès de la Duchesse de Bourbon (qui était jadis au couvent) et me faire à nouveau connaitre d'elle pour me rappeler à son bon souvenir.   Mais  8  jours ont passé sans la moindre nouvelle.   Elle m'avait déjà demandé de revenir  8 jours après,  je tins donc parole et m'y rendis.

    Je dus attendre une demi-heure dans une grande pièce glaciale,  non chauffée et sans cheminée.   Finalement,  la Duchesse arriva et me pria avec la plus grande amabilité de me satisfaire du piano qui était là,  elle me pria d'essayer.  Je dis  :  J'aimerais de tout coeur jouer quelque chose mais c'est impossible dans l'immédiat car je ne sens plus mes doigts tant j'ai froid,, et je la priai de bien vouloir me faire conduire au moins dans une pièce où il y aurait une cheminée avec du feu.   O  oui  Monsieur,  vous avés raison.  Ce fut toute sa réponse.   Puis elle s'assit et commença à dessiner,  pendant toute une heure,  en  Compagnie d'autres messieurs,  tous assis en cercle autour d'une table.  Fenêtres et portes étaient ouvertes, j'avais froid non seulement aux mains,  mais également à tout le corps,  et aux pieds,  et je commençais tout de suite à avoir mal à la tête.   (Mozart souffrait bien de migraines).   Et  je ne savais que faire,  si longtemps,  de froid,  de mal de tête et d'ennui .   Je pensais sans arrêt  :   si ce n'était pour M.  Grimm, je partirais dans l'instant même.

   Finalement,  pour être bref,  je jouai sur ce misérable  Pianoforte..  Mais le pire est que

Madame et tous ces messieurs n'abandonnèrent pas un instant leur dessin,  et je dus donc jouer pour les fauteuils,  les tables,  et les murs.  Dans des conditions aussi abominables,  je perdis patience.  Je  commençai les Variations de Fisher,  en jouai la moitié et me levai.  Il y eut une foule d'Eloges.  Mais je dis ce qu'il y avait à dire,  qu'il m'était impossible de me faire honneur au piano et qu'il me serait agréable de revenir un autre jour, lorsqu'il y aurait un meilleur instrument.   Je dus toutefois attendre encore une demi-heure que son mari arrive.    Lui s'assit près de moi et m'"écouta avec toute son attention, et moi,  j'en oubliai le froid,  le mal de tête, et me mis à jouer,  malgré le détestable piano -- comme je joue lorsque je suis de bonne humeur.
   Donnez moi le meilleur piano d'Europe et comme auditeurs,  des gens qui ne comprennent rien, ou qui ne veulent rien comprendre,  et qui ne sentent pas avec moi ce que je joue,  j'y perds tout plaisir.  J'ai ensuite tout raconté à M.  Grimm.

 

    Vous m'écrivez que je dois bravement faire des visites pour faire des connaissances et raffraichir les anciennes,  mais ce n'est pas possible.   A pied,  tout est trop loin,  ou trop sale,  car à Paris,  il y a une saleté indescriptible.   En voiture,  on a tout de suite l'honneur de dépenser 4 à 5 livres par jour,  et pour rien,  car les gens font certes des compliments, mais qui s'arrêtent là.  Ils me demandent de revenir tel ou tel jour,  je joue et ils disent :  O  c'est un Prodige,  c'est inconcevable,  c'est étonnant.    Et là dessus,  addieu.

J'ai suffisamment dépensé ici pour mes déplacements et souvent en vain car je n'ai pas rencontré les gens.   Si on n'est pas sur place,  on ne se rend  pas compte combien c'est fatal.  

   D'ailleurs,   Paris a beaucoup changé.  Les Français sont loin d'avoir autant de Politesse qu'il y a 15 ans.  Ils sont désormais bien près de la grossiéreté et affreusement orgueilleux.....   (......)  "

 

 

 

 

Que  penserait-il aujourd'hui  ! ....

 

 

 

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                                                                                Paris,   le  27  mai  1778

 

 

 Je me porte,  Dieu soit loué, passablement bien.  Toutefois,  je ne vois souvent ni rime ni raison à rien,  je n"ai ni chaud ni froid,  je n'ai de plaisir à rien.
  Ce qui me console le plus et me maintient de bonne humeur,  c'est l'idée que vous , mon papa chéri, et ma chère soeur,  vous allez bien,  que je suis un honnête Allemand, et que si je n'ai pas toujours le droit d'en parler,  j'ai du moins la liberté de penser ce que je veux.  Mais c'est  bien tout.

  Hier,  je suis allé pour la deuxième fois chez le comte v.  Sickingen.  C'est, je ne sais si je vous l'ai déjà écrit, un homme charmant,  amateur passionné et véritable connaisseur en Musique.

   J'y ai passé 8 heures,  seul avec lui.  Le matin et l'après-midi jusqu'à 10 heures du soir,  nous sommes restés au piano, avons parcouru toute sorte de Musique, loué, admiré,  raisonné et critiqué.  Il a environ  30 partitions d'opéra.
   Je dois maintenant vous dire que j'ai eu l'honneur de voir votre Ecole de violon traduite en français.  Je crois qu'elle est traduite depuis au moins huit ans.  J'étais justement dans un magasin de musique pour acheter un volume des sonates de Schobert pour une élève.  J'y retournerai bientôt et l'étudierai mieux pour vous en parler plus en détail.  Je manquais de temps la dernière fois.  Je vous baise 1000 fois les mains et embrasse ma soeur de tout mon coeur.  Mes compliments à tous mes amis,  et particulièrement à Mr. Bullinger.

 

WoAMozart

 

 

 

 

 

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                                                                           Paris,  le  12  juin  1778

 

 

 

Anna Maria Mozart  à  Léopold 

 

 

Mon cher époux,

 

 

  Nous avons bien reçu ta lettre du 28 mai et constaté avec plaisir que vous allez bien.  Wolfgang et moi sommes,  Dieu soit loué,  en bonne santé.  Hier, je me suis fait saigner, et ne pourrai donc pas beaucoup écrire aujourd'hui.
   Wolfgang n'est pas à la maison, il déjeune avec Monsieur Raaf chez le comte Sickingen où ils se rendent au moins une fois par semaine car il aime Wolfgang par dessus tout....

 

   Tu veux savoir où nous logeons, cherche d'abord la rue Montmarter, puis la Rue Cléry, dans  cette rue Cléry,  c'est la première à gauche lorqu'on vient de la Rue Montmarter.  C'est une belle artère très propre où logent particulièrement les gentilshommes, pas loin du pulvar avec du bon air. 

   Avant hier,  j'ai déjeuné chez Monsieur Haina et suis allée après le repas me promener au jardin du Luxembourg, voir la belle galerie de tableaux au palais, puis suis rentrée étonnamment fatiguée à la maison.  J'étais seule car Wolfgang a déjeuné avec Raaf chez Monsieur Grimm....

   Nous avons ici le plus bel été qui soit,  très agréable. Dieu merci, et nous n'avons encore eu aucun orage.  Wolfgang  (quand il mange là) et moi déjeunons pour 15 sols.  Mais le soir,  nous dégustons 4 plaisirs pour 4 sols.  Pour que tu saches ce que cela signifie en allemand  : ce sont des biscuits creux nommés Plaisirs en français.  Je te prie de faire nos compliments à tous nos bons amis,  nombre d'entre eux ouvriraient de grands yeux et la bouche en découvrant ce qu'il y a à voir ici.  Adio,  portez vous bien,  je vous embrasse des milliers de fois et demeure ton épouse fidèle Mozartin.  Je dois m'arrêter car le bras et les yeux me font mal.....

 

 

                                                  

 

 

 

  

        La maman de Wolfgang mourut le  3 juillet, à 1O heures 21 minutes du soir, ancienne rue du Gros-Chenet,  (actuellement rue du Sentier) , probalement d'une fièvre typhoïde ou du typhus abdominal.  Elle avait  58 ans.

 

 

 

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 Chapitre suivant  :  Consolation

 

 

                                                               

 

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14/09/2011

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