Wolfgang Mozart, Correspondance

Wolfgang Mozart, Correspondance

& "Je ressens un feu dans tout mon corps"

 

             

               Après la mort de sa mère,  Mozart s'est installé chez Mme d'Epinay,  amie du baron Grimm.

 

                Son père lui demandant d'expliquer plus en détails la maladie de son épouse,   il s'exécute  :  

 

 

   "Vous savez que je n'avais,  de ma vie, jamais vu mourir quelqu'un (bien que je l'aie souhaité),  et ma mère devait justement être la première...  Vous voulez une description de la maladie,   vous l'aurez,  mais autorisez moi à être bref et à n'écrire que le principal...

 

     Je dois tout d'abord dire que ma bienheureuse mère devait mourir,  aucun docteur au monde n'aurait pu la sauver cette fois, car c'était de toute évidence la  volonté de Dieu,  son temps s'était écoulé...  Vous pensez qu'elle s'est fait saigner trop tard,  c'est possible, mais je suis de l'avis des gens d'ici qui lui avaient déconseillé une saignée et cherchaient à la convaincre d'un lavement,  mais elle ne voulait pas,  je n'osais rien dire car je n'y comprends rien et en aurais porté ensuite la responsabilité en cas d'échec....
   Je ne peux vous dire combien de sang on lui a tiré parce qu'ici on ne compte pas en once mais en palettes,  on lui en a tiré 2 pleines....  Elle alla bien pendant plusieurs jours puis elle fut prise de diarrhée, mais il est courant que des étrangers ici atrappent la colique à cause de l'eau,  je l'ai eue moi même les premiers jours,  mais depuis que je ne bois plus jamais d'eau pure et y mêle un peu de vin,  je n'ai plus rien.  Toutefois, comme je ne peux rester sans boire d'eau pure,  je la purge par de la glace,  j'en bois toujours 2 verres avant de dormir.

   Continuons,  le 19,  elle se plaignit de maux de tête,  et la veille est le dernier jour où elle se leva.  Le 2o,  elle fut saisie de frissons,  puis de chaleurs.  A plusieurs reprises, je voulus envoyer chercher un docteur mais elle refusa,  et comme j'insistais,  elle me dit qu'elle n'avait pas confiance en un medicum français.  Je m'enquis donc d'un allemand....

    Le docteur (un allemand de 70 et quelques années)  lui donna de la rhubarbe en poudre mêlée à du vin.   Cela me surprit, on dit généralement que le vin échauffe. Lorsque j'émis cette objection ,,  tout le monde s'écria  :  comment ! c'est l'eau qui échauffe !  et pourtant la malade réclamait ardemment de l'eau fraiche,  j'aurais tant aimé la satisfaire.

   Père  chéri,  vous ne pouvez savoir ce que j'ai enduré,  il n'y avait pas d'autre moyen, je devais la laisser aux mains du médecin,   nom de Dieu.    Tout ce que je pouvais faire, en conscience,  était de prier Dieu sans cesse,  pour qu'il ordonne tout au mieux.   J'errais comme si je n'avais pas de tête,  j'aurais sans doute eu du temps pour composer, mais je n'étais pas en mesure d'écrire une seule note....  Le  25,  le docteur ne vint pas,  le 26, il dit   Elle ne passera pas la nuit,  et il se peut qu'elle meure d'un moment à l'autre, sur le siège d'aisance,  veillez donc à ce qu'elle puisse se confesser....J'ai couru jusqu'à l'autre bout de la Chaussée d'Antin trouver M. Haina,,  il me dit qu'il amènerait le lendemain un prêtre allemand.  En rentrant,  je passais chez Grimm et Mme d'Epinay,  ils furent fâchés que je n'ai rien dit plus tôt,  ils m'auraient immédiatement envoyé leur docteur...

 

    Je vois bien qu'il m'est impossible d'être bref,  j'aimerais écrire tout en détail et je crois que c'est ce que vous préférez.   Donc,  (comme j'ai encore d'autres choses plus urgentes à écrire)  je continuerai mon histoire dans ma prochaine lettre.....

 

 

 

 

         Mais Mozart ne continua jamais la suite de ce récit,  en tout cas pas par courrier...  Les choses plus urgentes dont il parle sont bien sûr Weber et sa fille,  mais il les réserve pour la fin de cette lettre,  écrivant  " Leurs dettes augmentent chaque jour,  si seulement je pouvais les sauver !  Père chéri,  je vous les recommande de tout coeur,  s'ils pouvaient disposer de 1000 florins pour quelques années  ! "   

          Et sa situation à lui  ?   Elle n'est guère brillante,  le baron  Grimm lui a dit  :  " Je ne crois pas que vous puissiez réussir à Paris"  -Pourquoi  ?  Je vois ici une foule de misérables nuls qui réussisent et moi, avec mon talent,  je n'y parviendrais pas  ?  - Vous ne vous démenez pas assez,  dit il.   -  Oui, c'est le plus dur pour moi,  et par ailleurs, du fait de la longue maladie de maman,  je n'ai pu aller nulle part.  Puis 2 de mes "élèves sont à la campagne, et la troisième va se marier et ne pas continuer..."

 

    De toutes façons,  il éprouve preque une souffrance à devoir donner des leçons pour vivre ;  "  Je serai heureux d'être délivré de cet endroit car donner des leçons n'est pas une plaisanterie ici, on s'y éreinte passablement..... C'est contraire à mon génie et ma manière de vivre.   Vous savez que je suis pour ainsi dire tout immergé dans la musique,  que je m'en occupe toute la journée,  que j'aime étudier,  réfléchir,  considérer.  Et voici que j'en suis empêché par ma manière de vivre....  J'aurais certes quelques heures de liberté mais ces quelques heures me sont nécessaires pour me reposer plutôt que pour travailler....
Pour l'opéra,  je ne peux faire autrement,  il faut que j'écrive un grand opéra,  ou que je m'abstienne.  Si j'en écris un petit,  je n'obtiendrai que très peu....

   Chaque fois qu'il me vient à l'esprit d'écrire un opéra,  je ressens un feu dans tout mon corps,  mes mains et mes pieds tremblent d'impatience......"

 

 

                                                   

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      Mozart est aussi certainement animé d'un certain feu, le  7 août  1778,  en envoyant à l'Abbé  Bullinger la lettre peut-être la plus caustique de toute sa correspondance , où il se déchaine contre la vie musicale de Salzbourg  :

 

 

 

   "Vous savez,  cher ami,  combien je déteste Salzbourg  !  et pas seulement à cause des injustices que nous y avons subies,  mon père et moi,  ce qui suffirait à effacer complètement un tel lieu de notre mémoire  !  Mais oublions tout cela,  advienne que nous puissions bien vivre.  Bien vivre et vivre heureux sont deux choses différentes,  et ce dernier état est impossible,  (sans sorcellerie),  il faudrait vraiment quelque chose de surnaturel  !  ....

    Salzbourg n'est pas un lieu pour mon talent, !  Premièrement,  les gens de la musique ne jouissent d'aucune considération,  pas de théâtre,  pas d'opéra  !  Et qui chanterait  ?  Depuis 5 ou 6 ans,   la musique de Salzbourg est riche en éléments nuls, inutiles,  superflus,  et les affreux français sont la cause de ce que la musique est maintenant sans maitre de chapelle  (Mozart parle de lui  !  )...   Oui,  c'est ainsi,  quand on ne prend pas de précautions  !  Il faut toujours avoir une demi-douzaine de maitres de chapelles en réserve, afin de pouvoir remplacer l'un par l'autre si l'un vient à manquer....   N'y a t'il donc pas une perruque à oreilles d'âne - pas une tête à poux qui puisse remettre les choses dans leur train boiteux d'antan  ?  ...  Dès demain ,  je prends une remise pour la journée et visite tous les hôpitaux et les asiles pour en trouver.   Pourquoi a t'on commis l'imprudence de laisser filer Misliweczec  ?,  (il était soigné pour une maladie vénérienne)   Il était si près,  il aurait pu constituer un morceau de choix, on en trouvera pas de sitôt un semblable.  Un homme qui aurait , par sa seule présence,  fait peur à tout l'orchestre.
  Mais je ne dois pas m'inquiéter,  là où il y a l'argent,  on trouve assez de gens !  Je le sais bien , tous ces messieurs attendent avec impatience,  comme les Juifs attendent le Messie.   Mais cette situation est insupportable, et il serait préférable et plus utile de chercher un maitre de chapelle puisqu'il n'y en a vraiment pas, plutôt que d'écrire partout pour tenter de trouver une bonne chanteuse.   Une chanteuse !  Je ne peux y croire !  Alors que nous en avons tant !  C'est vrai,  la Haydin est maladive   (
ici, Mozart parle de l'épouse de Michael Haydn, chanteuse à la cour,  qui jouissait de la vie et était portée sur la  boisson)  ,  elle a poussé trop loin l'austérité,  il y en a peu de ce genre  ! Je m'étonne seulement qu'elle n'ait pas perdu la voix depuis longtemps à force de disciplines continuelles,  de flagellations,  de port du cilice,  de jeûnes contre nature et de nuits en prières !!    Mais nous en avons encore  5,  dont chacune peut le disputer à l'autre. Mais mettons les choses au pis,  mettons que nous n'en ayons pas, hormis la Madeleine éplorée (la Haydn)  , ce qui n'est pas le cas.  Admettons qu'une d'elles soit en mal d'enfants du jour au lendemain,  qu'une autre soit jetée en prison,  que la 3ème soit fouettée, la 4ème décapitée,  et la cinquième - que le D.. l'emporte  ? -  qu'adviendrait-il  ?  Rien  !  Nous avons en effet un castrat, vous savez bien quel genre d'animal c'est  !  Il chante très haut, et peut donc remarquablement jouer un rôle de femme,  bien sûr le chapitre s'interposerait,  mais s'interposer vaut mieux que se superposer,  laissons donc ce M. Ceccarelli être tantôt homme,  tantôt femme.  Et finalement,  sachant que chez nous, on aime le changement ,  les modifications et les nouveautés, je vois s'ouvrir à moi un vaste champ,  dont l'exploitation peut faire date.  Ma soeur et moi y avons déjà contribué,  étant enfants. 

   Oh,  lorsqu'on est généreux, on peut tout avoir,  on peut faire  venir  de Vienne Metastasio,  ou du moins lui proposer d'écrire quelques douzaines d'opéras où le primo uomo et la prima donna ne se rencontrent jamais.  Ainsi,  le castrat pourra tenir à la fois le rôle de l'amant et de la maitresse, la pièce n'en serait que plus intéressante,  puisqu'on pourrait admirer la vertu des deux amants qui évitent au plus haut point de se parler in publico ;  voici donc l'avis d'un vrai patriote  !  Faites votre possible pour la musique ait bientôt un cul - c'est le principal ; elle a déjà une tête-  et c'est bien là son malheur  !

Je ne viendrai pas à Salzbourg avant que la pièce ait été modifiée,  ensuite seulement je rentrerai et rebrousserai chemin chaque fois que c'est écrit  V.S.   (Volti Subito est écrit en bas des pages de musique qu'il convient de tourner rapidement)   (....)

 

 

 

  Cette lettre,  (qui a dû aussi soulager Wolfgang qui, du reste,  ne l'a pas écrite à son père) est signée ....   Trazom peut être ?

Non  : 

Wolfgang  ROMATZ 

 

 

 

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Chapitre suivant  : Ces idiots de français...

 

 

 

  

 

 



15/09/2011

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