Wolfgang Mozart, Correspondance

Wolfgang Mozart, Correspondance

& Le troisième acte - 1780-1781 -

 

 

 

     De  janvier  1779  à novembre  1780,  Mozart ne quitte plus Salzbourg.   Il est organiste de la cour de Colloredo pour un salaire annuel de 450 fl.  On est loin des grands rêves d'antan. Sa vie semble bien rythmée par une certaine monotonie  : compositions pour la cour, ) ,symphonies,  sérénades,  Messe en ut majeur.  Nannerl tient un journal accablant de compte rendus insipides,  aucun intérêt,  et parfois,  son frère arrive par derrière, intervient,  pour quelques lignes à la Trazom.  On va beaucoup au théâtre, on promène Pimperl,  on donne quelques petits concerts comme autrefois, le frère et la soeur jouent ensemble .  De cette époque date le tableau où  Mozart apparait, plutôt tristounet,  assis au piano entre son père et sa soeur,  le portrait de la mère décédée par derrière....

On pense à cette lettre du  31 décembre 1778  : "Ma vie plus triste que gaie...

 

 

   Après tant de passion,  de ferveur,  le jeune homme du tableau ne semble plus vraiment être le même,   les deux lettres qu'il envoie à la petite cousine sont d'ailleurs moins drôles,  moins spontanées qu'"avant"....  Bourrées de jeux de mots d'un bout à l'autre,  de toutes façons,  elles sont intraduisibles de l'allemand au français,  et on n'y comprend rien.   On n' en saura pas plus.  Et à part elle,  rien d'autre,  vraiment  ?  Apparemment,  non, mais allez savoir.

 

   Aloysia,  elle,  vient d'être engagée à l'opéra de Vienne et elle devient célèbre.  Que ressent il  ?  Allez savoir.

 

   Le  31 octobre  1780,  elle épouse le comédien  Joseph  Lange,  et l'argent n'est sûrement pas étranger à cette union... Qu'en pense t'il  ?  Allez savoir.

 

 

    Maintenant seul un Opéra semble bien accaparer totalement ses pensées et son corps .  Et cet opéra,  c'est  Idoménée.

 

 

    Le  5 novembre,  il part pour Munich,  où il doit terminer l'opéra,  et le mettre lui-même en scène.  Ouf.  La correspondance entre le père et le fils va pouvoir reprendre....

 

 

 

 

 

(Note :  Léopold et Wolfgang échangèrent alors de nombreuses lettres parlant de la conception de l'opéra Idoménée,  auquel le père semble bien avoir collaboré un peu..
Mais on ne peut tout recopier  !  Et j'ai choisi,  dans cette correspondance,  de privilégier les passages les plus personnels,  intimes,  émouvants,  éclairant le mieux la personnalité profonde du compositeur.)

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                    Munich,  ce  8 novembre  1780

 

 

 

Mon très cher Père  !

 

  Mon arrivée ici fut heureuse et joyeuse  !  heureuse parce que rien de néfaste ne nous est survenu au cours du voyage, et joyeuse parce que nous attendions avec grande impatience le moment où  nous toucherions au but de ce voyage extrèmement pénible bien que fort court,  car je vous assure qu'aucun d'entre nous n'a pu dormir la nuit plus d'une nuit d'affilée.  Cette voiture vous arrache l'âme  !  et les sièges  !  durs comme des pierres  !   A partir de Wasserbourg,  j'ai vraiment cru ne pas pouvoir apporter mon derrière tout entier jusqu'à Munich  !  il était tout endolori, et sans doute rouge feu.  Pendant deux postes entières,  j'ai fait le voyage les mains appuyées sur les coussins,  pour soutenir en l'air mon postérieur,   mais suffit, c'est maintenant du passé !  Toutefois à l'avenir je me donnerai pour règle d'aller à pied,  plutôt que de prendre la malle de poste.  

   Venons en maintenant à Munich.  Je me suis rendu le soir même chez le comte Seeau,  le lendemain  j'y suis retourné avec Becke qui vous fait ses compliments....

Au sujet du livret,  le comte dit qu'il est inutile que l'Abate Varesco le recopie et l'envoie, car il sera imprimé ici,  mais moi je pense qu'il devrait tout de suite l'écrire,  sans oublier les petites notes,  et nous l'envoyer si possible avec l'argument.  Pour ce qui est du nom des chanteurs,  c'est moins important, ça pourra très bien se faire ici.

  Il faudra faire, ici et là , quelques modifications,  raccourcir un peu les récitatifs, mais tout sera imprimé.  Je n'ai qu'une prière à adresser à M. L'Abate.  L'air d'Ilia,  dans la 2ème scène du deuxième acte, je voudrais le modifier un peu en vertu de ce dont j'ai besoin....

 

 

(pour ceux qui veulent savoir la suite,  vous pouvez toujours acheter la correspondance.  J'ai privilégié comme je vous le disais l'homme personnel à la musicologie que je laisse à d'autres.)

 

 

 

 

                     

 

 

                                                                                Munich,  ce 22 novembre 1780

 

 

 Voici enfin l'air promis depuis longtemps à M.  Schilaneder,  les huit premiers jours, je n'ai pu le terminer à cause de mes autres affaires pour lesquelles je me trouve ici et récemment,  le maire de ballet Le Grand,  un affreux bavard et seccatore,   était chez moi et m'a fait manquer la diligence par ses bavardages.

  J'espère que ma soeur sera maintenant tout à fait remise....  J'ai actuellement un catarrhe,  ce qui est très à la mode par ce temps,  je crois et espère qu'il disparaitra bientôt, car les deux régiments de cuirassiers légers,  morves et glaires,  se retirent peu à peu.
  Dans votre dernière lettre,  vous m'écrivez  :  oh,  mes pauvres yeux, je ne veux pas me rendre aveugle à force d'écrire,  le soir , sans lunettes.   Mais pourquoi écrivez vous donc le soir  ?   et pourquoi sans lunettes  ?  Je ne le comprends pas.....

 

Que devient le portrait de famille  ?

Ma soeur pourrait bien (si elle s'ennuie parfois)  coucher sur le papier au moins les titres des meilleures comédies qui ont été données après mon départ.....

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                    Le  24 novembre 1780

 

 

 

  Ne vous faites pas de soucis au sujet de mon opéra,  mon père chéri.  J'espère que tout ira bien.   On tentera bien une petite cabale qui tournera sans doute au comique.  Car j'ai pour moi,  au sein de la noblesse,  les maisons les plus en vues,  et les plus puissantes,  et les premiers parmi les musiciens sont tous pour moi.  Je ne saurais vous dire combien Cannabich est mon ami.  Si actif,  efficace,  en un mot il est aux aguets lorsqu'il s'agit de faire du bien pour quelqu'un.... (...)

 

   Je vous en prie, ne m'écrivez plus de lettres aussi tristes, car j'ai besoin d'avoir l'esprit libre et gai, une tête légère,  et du goût au travail,  on n'en a pas quand on est triste.  Je le sais,  je le sens bien , par Dieu,  combien vous méritez des heures paisibles  !  Mais en suis je l'obstacle  ?  Je ne voudrais pas l'être,  et je le suis pourtant ! Mais si j'atteins mon but,  que je peux me faire ici une situation digne de considération,  alors vous devez quitter Salzbourg.  Ca ne se fait pas,  direz vous,  la faute n'en sera toutefois pas à mon application ni à mes efforts.

 

   Veillez seulement à venir bientôt me rejoindre.... Nous pouvons tous habiter ici.  J'ai dans une première pièce une grande alcove avec deux lits, c'est charmant pour vous et moi.  Et pour ma soeur, il n'y a pas d'autre moyen que de faire mettre un poele dans l'autre pièce,  ce sera une affaire de  4  ou 5 florins,  car même si on chauffait le mien à le faire éclater,  en laissant la porte ouverte,  ce ne serait pas supportable, il y fait un froid trop vif....

 

       (Dans une lettre plus loin,  au sujet de ce poele,  Wolfgang eut ces simples mots,  éloquents  :  "Pour le poele,  je ne peux pas,  c'est trop cher...")

 

   Je viens de rester deux jours à la maison à cause de mon rhume et je n'avais pas beaucoup d'appétit.  Heureusement,  car à la longue, cela ne m'aurait pas arrangé d'avoir à payer pour la nourriture   (cette attitude demeurera une constante chez le compositeur)

 

 

 

 

*

 

 

 

 

 

                                                                   Munich,  ce 1er décembre 1780

 

 

 

     La répétition a remarquablement bien marché , il n'y avait que 6 violons en tout, mais les instruments à vent necessaires,  aucun auditeur ne fut admis si ce n'est la soeur de Seeau et le jeune comte Seinsheim.....

 

    Pendant cette répétition ,  mon catarrhe a quelque peu empiré.  On s'échauffe en effet lorsque l'honneur et le renom sont en jeu,  quel que soit le sang froid dont on fait preuve au début.  J'ai utilisé tous les remèdes que vous m'avez prescrits,   mais c'est bien lent, et ce qui m'ennuie,  le rhume ne cesse pas quand on écrit,  et il me faut bien écrire.  Aujourd'hui,  j'ai commencé à prendre du jus de violette avec un peu d'huile d'amande douce,  je sens déjà une amélioration.  Et je suis resté encore deux jours à la maison.....

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                         Ce  5 décembre  1780

 

 

Mon très cher Père !

 

  La  mort de l'impératrice n'a pas la moindre influence sur mon opéra,  aucun théâtre n'est fermé,  les comédies continuent à être données comme d'habitude,  et le deuil ne durera pas plus de 6 semaines.  Or l'opéra ne sera pas mis en scène avant le 20 janvier.

  Je vous prie maintenant de bien vouloir faire brosser,  battre et raffraichir autant que possible mon habit noir,  et me l'envoyer par la prochaine malle de poste.  Car tout le monde portera le deuil,  et moi,  qui me rends ici et là,  je dois également pleurer avec les autres....

 

 

 

 

 

 

    Même pas suffisamment d'argent pour s'acheter un costume de deuil sur place ?  Et tous ses bons  amis  ?  Il n'aura pas oser le leur demander....  Et tous   ses concertos, déjà très beaux, derrière lui, ses symphonies,  ses sonates sublimes de Paris ou d'ailleurs ?  Rien, rien ,  pas un florin de trop   ?   Plus tard,  il se ratrappera en dépensant beaucoup pour ses vêtements.   Peut-être à cause de ce costume  , qui , du reste,  lui arrivera si miséreux de Salzbourg qu'il   "devra le faire retourner pour pouvoir le porter".

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                              Munich,  ce 16  décembre

 

 

Apropos, où en est l'archevêque ?  Lundi prochain,  il y aura six semaines que j'ai quitté Salzbourg, vous savez,  mon père chéri, que je n'y suis que par amour pour vous, car, par Dieu,  si cela ne dépendait que de moi ,  je me serais essuyé le derrière avec le dernier décret avant de partir.  Sur mon honneur, ce n'est pas Salzbourg, mais le prince,  la fière noblesse qui me pèsent chaque jour davantage.  J'attendrais avec joie qu'il me fasse écrire qu'il n'a plus besoin de moi,  j'aurais assez de sécurité grâce à la haute protection dont je jouis ici,  sauf en cas de mort,  ce contre quoi personne n'est assuré,  et qui ne saurait faire tort à un homme de talent et qui est célibataire.  Mais pour l'amour de vous, je ferais tout au monde,  cela me semblerait toutefois plus aisé s'il était possible de s'absenter de temps en temps, pour reprendre haleine. Vous savez combien il a été difficile de partir cette fois.  C'est à pleurer,  quand on y réfléchit....

 

 

 

 

 

 

 

                                                         

 

                                                               Munich,  ce 3 de janvier  1781

 

 

 

Mon  très cher Père  !

 

 

  J'ai la tête et les mains si pleines du troisième acte qu'il ne serait pas étonnant que je me transforme moi-même en troisième acte.   Il me vaut à lui seul plus de peine que l'opéra dans son entier,  car il ne comporte pas une seule scène qui ne soit extrêmement intéressante.  L'accompagnement de la voix souterraine ne contient que 5 voix,  à savoir 3 trombones et 2 cors, qui sont placés au moment où la voix survient.  A cet endroit, tout l'orchestre se tait.

  La répétition générale aura lieu à coup sûr le 20, et la première production le 22.  Vous n'avez besoin d'apporter tous les deux qu'un costume noir, un autre vêtement pour tous les jours afin de ménager un peu le costume noir, à mettre quand vous ne sortirez pas, sinon pour aller chez mes bons amis où l'on ne fait pas de compliments et si vous voulez, un habit plus joli pour aller au bal ou à l'académie masquée....  (....)

   Je reçois à l'instant vos 5 lignes du 1er janvier... Lorsque j'ai ouvert la lettre,  je la tenais de manière que seul le papier blanc me sauta aux yeux  !  Finalement,  je les ai trouvées....

 

 

 

 

 

 

 

 

     Le  27 janvier,  jour des 25 ans de Mozart,  eut lieu la Répétition Générale d'Idoméneo. Le 29, sa création au théâtre de la Résidence de Munich,  sous la direction de Christian Cannabich.  Léopold et Nannerl y assistèrent.

 

  "Belle musique,  mais guindée,  trop long, trop dramatique,  peu d'enthousiasme du public"  furent les seules critiques qui accueillirent cet opéra.

 

   Difficile de dire de façon certaine si la pièce triompha le premier soir,  les biographes se contredisant singulièrement là-dessus.

   Comme je ne me fie qu'aux lettres  (le reste me semblant bien parfois être une inutile pollution),  je rapporterai seulement la lettre de Léopold à ses amis Breitkoff et fils,  et elle ne montre guère d'enthousiasme  :

 

    "J'ai l'honneur de vous écrire de Munich où je me trouve depuis 15 jours pour assister à l'opéra que mon fils a composé pour le théâtre électoral. Je tenais bien sûr à le  voir et l'entendre ! "......

 

    C'est tout.

 

    Déception,  donc,  certainement,  pour le père et le fils ,  qui attendaient tellement de cet opéra....

 

     Mozart,  s'il en souffrit,  n'en montra rien,  car son père lui reprocha même de s'être un peu trop amusé sous ses yeux,  ce à quoi il lui répondit  :

 

 

"C'est vrai, à Munich, je suis apparu sous un mauvais jour, je me suis trop amusé,  mais je vous jure sur mon honneur qu'avant que l'opéra ne soit en scène,  je ne sortais pas,  même pas au théâtre,  et n'allais que chez les Cannabich..   Et puis ,  j'ai pensé :  "Et maintenant,  où vas tu aller  ?  A  Salzbourg  !  Il faut donc en profiter !  .....  "

 

 

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Chapitre suivant  : Je tremblais de tout le corps,  et titubais comme un ivrogne

  

 

 

   

 

 

 

 

    

 

 

 

        

 

 

 

 

 

 

 

 



16/09/2011

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