Wolfgang Mozart, Correspondance

Wolfgang Mozart, Correspondance

& "Je pense toujours que la vérité finira par éclater au grand jour"

 

 

 

           Et où en est donc l'Enlèvement au sérail  ?  Pendant plusieurs mois,  Mozart a dû s'arrêter de composer car Stéphanie ne lui fournissait pas la suite du livret.  A la mi-novembre  1781,  il s'est remis au travail.  Et tout se bouscule dans sa vie  :

 

 

 

 

                  

 

 

 

 

                                                                                      Vienne,  ce 22  Xbre  1781

 

 

 

 

Mon très  cher Père  !

 

   Je suis encore plein de colère et de rage à cause des mensonges ignominieux de ce chenapan Winter,  calme et tranquille parce qu'ils ne m'atteignent pas,  heureux et satisfait de mon excellent père chéri.

Je ne pouvais attendre autre chose de votre sagesse, de votre amour et votre bonté à mon égard. 

  (Winter avait dû écrire une lettre calomnieuse à Léopold,  mais je ne comprends pas très bien si ce  dernier l'a cru ou a défendu Wolfgang  ? ?)

 

   Vous aurez découvert en lisant ma dernière lettre l'aveu de mon amour et mes projets, et vous aurez constaté que dans ma 26ème année,  je ne serai pas assez stupide pour me marier au petit bonheur,  sans avoir une situation assurée.  Que mes raisons de me marier dès que possible sont bien fondées et d'après la description que je vous ai faite de mon amie, qu'elle me sera une femme très utile.  Car telle que je vous l'ai décrite, telle elle est,  pas un cheveu meilleur ni pire.

  Pour ce qui est du contrat de mariage,  je suis convaincu que vous me pardonnerez,  car si vous aviez été à ma place,  vous auriez certainement agi de la même manière.  Je vous demande seulement de me pardonner de ne pas vous en avoir parlé plus tôt.  J'espère donc que vous me pardonnerez,  sachant bien que personne n'en était tourmenté plus que moi,  et même si vous ne m'y aviez pas incité,  je vous aurais quand même tout écrit et m'en serais ouvert à vous.  Car plus longtemps - plus longtemps- par Dieu,  je n'aurais pu me retenir  ! -

   Venons en au contrat.  Vous savez que comme le père est décédé,  il y a un tuteur.  A celui ci,  il semble que des messieurs aussi impudents que M. Winter et consorts aient rebattu les oreilles avec toutes sortes de racontars à mon sujet  :  qu'il fallait se méfier de moi,  que je n'avais pas de situation,  que j'avais une forte liaison avec Constance, que je la laisserais peut être tomber,  que la jeune fille serait ensuite malheureuse, etc.  Cela monta au nez du tuteur mais la mère qui connait ma loyauté ne disait rien contre moi.  En effet,  mes seules relations consistaient à loger chaque jour dans  cette maison.  Personne ne me voyait jamais avec elle, sauf à la maison. 

   Le tuteur vint,  je lui parlai,  le résultat fut  (parce que je m'expliquai pas aussi clairement qu'il l'aurait souhaité)  qu'il dit à la mère de me donner l'ordre d'interdire toute relation avec sa fille avant de m'être mis d'accord avec lui par écrit.  La mère dit :  Ses seuls rapports sont qu'il vient chez moi,  je ne peux pas lui interdire ma porte, c'est un très bon ami,  je lui fais  confiance,  arrangez vous avec lui.

   Il m'interdit donc tout rapport avec elle si je ne m'engageais par écrit.  Que me restait il d'autre à faire ?  Donner une légitimation ou abandonner la jeune fille ?  Celui qui aime sincèrement et sérieusement peut il quitter sa  bien aimée  ?  La mère,  la bien aimée elle même ne pourraient elles pas en tirer une conclusion infâme ?  

  Je rédigeai donc un écrit, disant que  "Je m'engageais à épouser Melle Constance Weber dans le délai de 3 ans  ;  que si je me trouvais dans l'impossibilité de le faire et que je change d'avis,  elle devrait recevoir de moi 300 f chaque année."

  Rien au monde ne m'était plus facile à écrire,  sachant que j'en arriverais jamais là,  puisque je ne la quitterais jamais.  Et si je devais par malheur changer d'avis,  je devrais m'estimer heureux de m'en libérer pour 300 fl.

  D'ailleurs,  Constanze ,  comme je la connais,  serait trop fière pour se laisser vendre.(Comme la Constance de l'enlèvement au sérail,  Mozart y pensait certainement).

Mais que fit cette céleste créature lorsque le tuteur fut parti  ?  Elle prit l'engagement et elle déchira le papier  "Cher Mozart,  je n"ai pas besoin de votre assurance écrite,  je vous crois sur parole".   Ce trait m'a rendu ma chère Constanze encore plus précieuse...

 

   Me pardonnerez vous  ?  Je l'espère !  Je n'en doute nullement.  Maintenant,  je dois parler de ce vaurien,  M.  Winter.   Ce monsieur,  s'il méritait le nom d'homme (étant marié)  ou au moins d'être humain,  je pourrais dire qu'il a toujours été mon pire ennemi , et cela , à cause de Vogler ...  Mais comme il n'est qu'une bête dans sa manière de vivre, j'aurais en vérité honte d"écrire quoi que  ce soit à son sujet,  car il ne mérite que le mépris total de tout homme d'honneur.

   Donc ,  je ne veux pas répandre des vérités infâmes (en réponse à des mensonges infâmes,)  à son sujet,  mais simplement vous informer de mes faits et gestes.

   Tous les jours,  à  6 heures,  mon coiffeur vient et me réveille.  Je suis complètement habillé à 7 heures.  Puis,  j'écris jusqu'à  10 heures.  A  10 heures,  j'ai une leçon chez Mme von Trattner,  à  11 heures la comtesse Rumbeke,  chacune me paye 6 ducats pour 12 leçons.  Et j'y vais tous les jours,  sauf si elles me font décommander,  ce que je n'aime guère.  Mais la Trattnerin est trop économe pour le faire...

   Je n'ai pas un kreutzer de dettes vis à vis de quiconque.  Je ne suis pas au courant d'un concert d'amateurs où il y avait deux pianistes qui jouaient bien.  Et je dois franchement vous dire que ça ne vaut pas la peine pour moi de répondre à toutes les ordures qu'un tel vaurien et misérable bousilleur peut avoir racontées,  il se ridiculise lui même.  Si vous croyez que je suis détesté à la cour et auprès de la moitié de la noblesse,  écrivez à M. Srack, la comtesse Thun,  la comtesse Rumbeke,  la baronne Waldstatten, M Sonnenfels,  Mme v. Trattner,  enfin, à qui  vous voulez.

   En attendant,  je vous dirai simplement que récemment,  l'empereur a fait, à table,  les plus grands éloges à mon sujet,  en ajoutant  :  "C'est décidément un talent."  Et avant hier,  j'ai joué à la cour.  Il y a ici un autre pianiste,  un Italien,  il s'appelle Clémenti, qui  était là.  Hier,  on m'a envoyé 50 ducats pour cela,  dont j'ai bien besoin actuellement.

   Mon père chéri,  vous verrez que cela ira mieux pour moi,  petit à petit.  A quoi servent le bruit infernal,  la chance rapide,   cela ne dure pas.   Chi va piano va sano  .

Il faut vivre selon ses moyens.

  Parmi toutes les vilenies répandues par Winter,  rien ne m'irrite plus que le fait qu'il qualifie ma chère Constance de friponne.  Je vous l'ai décrite telle qu'elle est.  Si vous voulez entendre l'opinion d'autres gens ,  écrivez à M.  Aauernhammer chez qui elle s'est rendue à plusieurs reprises .  Ecrivez à la baronne Waldstatten qui l'a hébergée un mois,  hélas cette dame est tombée malade,   et maintenant elle est retournée chez sa mère.

Dieu fasse que je puisse bientôt l'épouser.   Ceccarelli vous fait ses compliments,  il a chanté hier à la cour.

   Au sujet de Winter,  il faut encore que je vous dise une chose.  Il m'a notamment dit un jour,  entre autres,  : " Vous n'êtes pas malin de vous marier. Prenez donc une maîtresse  !  Vous avez assez d'argent,  vous le pourriez bien !  Qu'est ce qui vous en empêche  ?  Une petite m....  de religion  ? ".  Maintenant , croyez ce que vous voulez .  Adieu.  Je vous baise 1000 fois les mains...

 

 

 

     Intéressant,  la dernière remarque de Winter,  qui m'avait échappée à la première lecture. Laissant supposer que Mozart n'avait donc aucune maitresse....

 

 

 

 

 

 

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                                                               1782

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                      Vienne,  ce  9  janvier  1782

 

 

 

 

 

Mon très cher Père,

 

   Je n'ai pas encore de réponse à ma dernière lettre et c'est la raison pour laquelle je ne vous ai pas écrit au dernier courrier.  Mais j'espère recevoir aujourd'hui même une lettre de vous. Je vois d'aller voir si elle n'était pas arrivée,  et je viens d'y envoyer à nouveau quelqu'un,  il va être  cinq heures.  Je ne comprends pas pourquoi je ne reçois pas de lettre  :  Seriez vous tellement fâché contre moi  ?  Que je vous aie si longtemps caché la chose ,  vous pouvez l'être vous avez raison.  Mais vous avez lu mes excuses à ce sujet,  vous pouvez bien me pardonner.  Et que je pense à me marier,  là,  vous ne pouvez pas en être fâché  ?  Je crois que vous y reconnaissez au mieux mon amour de la religion et mes bonnes intentions.

  Oh  !  Je pourrais répondre à bien des points de votre dernière lettre et émettre de nombreuses objections,  mais ma maxime est que ce qui ne m'atteint pas ne vaut pas la peine que j'en parle.  Je n'y peux rien,  je suis ainsi...  J'ai honte au plus haut point de me défendre lorsque je suis accusé à tort,  je pense toujours que la vérité finira par éclater au grand jour....

 

 

 

 

 

          

 

     Léopold eut alors l'indulgence  (ouf)  d'envoyer une "lettre compréhensive et affectueuse", bien qu'il semblerait qu'il ait exigé aussi des explications.  ('les lettres sont perdues.  Wolfgang vit principalement de ses leçons de piano et est bouillonnant de projets,  comme toujours , et de musique :

 

 

 

"J'ai maintenant 3 élèves,  cela me fait 18 ducats par mois.  Mais j'ai appris à mes dépens qu'elles s'arrêtent souvent des semaines entières.  Il ne me faut plus qu'une élève,  avec 4,  ça suffit, cela me fera 24 ducats,  c'est à dire 102 fl et 24 kr.   Avec cela, on peut s'en tirer correctement avec une femme (en vivant tranquillement et calmement, comme nous le souhaitons. Mais si je tombais malade,  nous ne gagnerions pas un kreutzer.   Je peux certes écrire au moins un opéra par an.  Je peux donner une académie chaque année.  Je peux faire graver des oeuvres.  En éditer en souscription ,  il y aussi d'autres académies payées.  Surtout si on reste longtemps en un lieu et qu'on y jouit de crédit.  Mais je souhaite considérer ces choses comme des accidents et non pas comme des nécessités.  Mais si cela ne passe pas,  il faudra forcer les choses,  et je préfère courir le risque de cette manière plutôt que d'attendre encore longtemps.

   Cela ne peut pas aller plus mal pour moi .  Il faudra bien que ça s'améliore.  Et la raison pour laquelle je ne veux pas attendre plus longtemps n'est pas seulement pour moi,  mais surtout pour vous.  Il faut que je vous sauve,  le plus vite possible  (les commentaires de la correspondance notent que c'est une idée fixe chez Mozart de vouloir "sauver" les autres.  En tout cas,  cela prouve qu'il n'avait aucune indifférence envers le sort de son père,  bien au contraire).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                            Ce  23 de mars  1782

 

 

 

 

  Je vous envoie le dernier mouvement que j'ai commencé pour le concerto en ré majeur,  et qui fait ici beaucoup de bruit  (il remplaça l'allegro final du concerto par le rondo  k 382 au cours du concert où il interpréta le concerto.).     Je vous prie de le conserver comme un joyau et de ne le laisser jouer à personne.  Je l'ai écrit exprès pour moi,  et personne d'autre que ma chère soeur ne peut le jouer en dehors de moi....  Je prends également la liberté de vous offrir la tabatière et quelques rubans de montre.  La tabatière est charmante et la peinture représente une hstoire anglaise.  Les rubans de montres n'ont pas grande valeur mais sont actuellement le dernier cri.

   J'envoie à ma soeur 2 coiffes à la dernière mode viennoise.  Elles sont toutes deux l'oeuvre de ma chère Constance.  Elle vous salue respectueusement,  vous baise les mains et embrasse ma soeur très amicalement...

 

 

 

   Assez touchant sont alors les efforts que fait Constance pour plaire à Léopold et Nannerl.  Elle envoie des cadeaux, elle écrit des post-scriptum bourrés de fautes de style et d'orthographe.   Nannerl a semblé au début en être un peu émue,  mais il est évident qu'elle et son père éprouvaient un certain mépris pour l'épouse de Mozart,  ce qui ne les rend pas particulièrement sympathiques.

 

 

 

   "Ma chère Constance arrive à l'instant, et elle demande si elle peut oser envoyer à ma soeur un petit souvenir ?  Mais elle me demande en même temps de l'excuser,  elle est une pauvre file qui ne possède rien,  et ma soeur ne doit considérer que sa bonne volonté...."

 

 

 

    Si le compositeur avait épousé une femme riche,  même ce laideron d'Auernhammer,

il est à parier que les Mozart l'aurait bien accueillie ?

 

 

    Du reste,  Nannerl elle-même dut renoncer à un homme qu'apparemment elle aimait parce qu'il ne convenait pas à son père...

 

     Très intelligent et cultivé,  oui,  Léopold,  et plus encore,  mais  ce qu'il lui manquait pour avoir du génie,   c'était le coeur pur de son fils.....

 

 

  Cependant, avait-il tout à fait tort  ? Homme d'une grande clairvoyance, et même pourvu d'un sixème sens,  il pensait que ce mariage n'apporterait rien de bon à Wolfgang...
Dès lors,  il s'éloignera de lui,  c'est à dire surtout '"d'elle",  sans doute au grand désarroi de son fils, qui, lui , continuera de lui manifester amour et respect profond quoi qu'on en ait dit.

 

  Nannerl, qui était elle aussi loin d'être une idiote,  et que l'on a un peu trop dépeinte sous l'image de la soeur jalouse et frustrée,  déclarera tout bonnement que Constance était la principale responsable de la situation désastreuse de son pauvre frère.  Il faut alors bien comprendre que cela résultait probablement de longues  conversations entre son père et elle,  et donc de beaucoup de choses (et d'évènements)  que nous ne savons pas....

 

 

 

 

 

 

                                                     Fin de la première partie                       

 

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                   Constance et Wolfgang se marieront le 4 août  1782,  sans le consentement de Léopold qui leur parviendra peu après.

 

 

L'Opéra  l'Enlèvement au sérail sera donné avec succès,  et  le compositeur connaitra enfin quelques jours heureux.

 

   Prise dans un tourbillon musical et mondain effréné, la correspondance de ses années "heureuses" à Vienne n'offre qu'un intérêt limité,  à part pour les musicologues, le compositeur ne s'y livrant personnellement que très peu,  et quelques courriers  intéressants ayant disparu. (notamment quand il était malade, quand il annonçait à son père la mort de ses enfants,  et d'autres... Il semblerait que Constance ait  procédé à un nettoyage de tout ce qui la gênait un peu,  (pour son image à elle).

 

   D'ailleurs,  la plupart des lettres de cette époque se sont " perdues,"  celles de Mozart comme celles de son père... Le tome 4 est  surtout celui des lettres de Léopold  à Nannerl .  (Flammarion.  Correspondance des Mozart et témoignages,  7 tomes).

 

 

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Chapitre suivant  :  Allegro vivace, Presto, Prestissimo

 

  

 

 

 

 

 

   

                                                   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                     

 

 

                                                                                   

 

 

 

 

 

 

 

    

 

 

                                                                                      

 

 

 

 

 

 

 

 

    

 

 

                    

 

 

        

 

 

 

 

   

 

                                                                                                     

 

                                                                                                                                                                                            



20/09/2011

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